« La révision constitutionnelle algérienne du 30 décembre 2020 »



La révision constitutionnelle de 2020 a fait suite aux blocages institutionnels qui ont marqué l’année 2019 en Algérie, année qui a vu l’avènement du Hirak et la démission du président Abdelaziz Bouteflika. Elle n’a pas été le fait d’une Assemblée constituante, comme en Tunisie, mais d’une initiative présidentielle, à travers un comité d’experts nommé par le nouveau président Abdelmadjid Tebboune. Soumise à référendum le 1er novembre 2020, avec un record historique d’abstention, cette révision a finalement été promulguée le 30 décembre 2020.

Sur le plan de l’organisation des pouvoirs publics, la Constitution proclame désormais que « l’Armée Nationale Populaire défend les intérêts vitaux et stratégiques du pays conformément aux dispositions constitutionnelles » (art. 30, al. 4). Cette disposition est une véritable révolution juridique, en ce qu’elle reconnaît de jure, ce qui ne relevait jusque-là que du de facto. En effet, depuis 1989, l’armée avait perdu son statut de bouclier de la Révolution socialiste et n’avait constitutionnellement plus de rôle politique.

Peu précises et peu claires, les notions d’« intérêts vitaux et stratégiques du pays » peuvent relever aussi bien de la politique interne que de la politique internationale, des questions militaires, sécuritaires, économiques, sociales, culturelles, voire cultuelles. Certes, la Constitution encadre ces intérêts « vitaux et stratégiques », « conformément aux dispositions constitutionnelles », sans préciser néanmoins quelles sont ces dispositions. Dès lors, telle disposition constitutionnelle qui serait considérée comme relevant des « intérêts vitaux et stratégiques » pourrait permettre de passer outre la qualité de chef suprême des forces armées du président de la République (art. 91, al. 1er, 1).

Ce nouvel alinéa permet ainsi de légitimer a posteriori l’intervention contra constitutionem du chef d’Etat-major, le général Ahmed Gaïd Salah, dans la vie politique du pays en 2019, en faisant de l’armée, à la fois un nouveau gardien de la Constitution, sur le modèle latino-américain, et le seul réel contre-pouvoir constitutionnel au président de la République.

Sur le plan des droits et libertés fondamentales, la Constitution proclame désormais qu’« aucune restriction aux droits, aux libertés et aux garanties ne peut intervenir que par loi et pour des motifs liés au maintien de l’ordre public, de la sécurité, et de la protection des constantes nationales, ainsi que ceux nécessaires à la sauvegarde d’autres droits et libertés protégés par la Constitution » (art. 34, al. 2). Or, aucun des garde-fous de la nécessité et de la proportionnalité dans une société démocratique ne vient limiter ces restrictions, ce qui permet de légitimer de larges exceptions aux droits et libertés constitutionnels sur le fondement de principes susceptibles d’interprétations multiples.

Certes, « ces restrictions ne peuvent porter atteinte à l’essence de ces droits et libertés » (art. 34, al. 3), ce qui pose la question de l’articulation entre cet alinéa et le précédent et plus généralement la question de l’indépendance de la justice. En effet, le président de la République préside encore le Conseil Supérieur de la Magistrature (art. 180, al. 2) et peut tout au plus en déléguer facultativement la présidence au premier président de la Cour suprême (art. 180, al. 3), qu’il nomme (art. 92, al. 1er, 4). Quant à la Cour constitutionnelle, il en nomme directement ou indirectement la moitié des membres (art. 186), dont le président qui dispose d’une voix prépondérante en cas de partage des voix (art. 197).

Cette révision constitutionnelle a donc essentiellement permis de surmonter les difficultés enregistrées par le système politique algérien en 2019, en consacrant un régime ultra-présidentialiste, désormais militarisé de jure. La procédure suivie pour réviser la Constitution a largement prédéterminé la nature du texte final. Quant au Hirak, il est le parent pauvre de cette révision et ses revendications de souveraineté populaire, d’Etat civil et d’Etat de droit attendent toujours d’être concrétisées.

Pour aller plus loin, sur le plan de l’organisation des pouvoirs publics, voir : Massensen Cherbi, « La révision constitutionnelle algérienne de 2020 en Algérie : Un ultra présidentialisme militarisé de jure », ISSRA, avril 2021, 9 p. :

La révision constitutionnelle de 2020 en Algérie: un ultra-présidentialisme militarisé de jure – ISSRA – Institut pour la Recherche en Sciences Sociales sur Algérie (issra-dz.org)

Massensen Cherbi ,   Docteur en droit – Université Paris II Panthéon-Assas

juillet 6, 2021